Israël Finkelstien et Neil Asher Silberman, 2002, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations de l’archéologie, traduit de l’anglais par Patrice Ghirardi, Paris, Bayard, 432 p.

 

 

     Il est bien connu que jusque dans les années 1900, les archéologues s’accordaient à penser que la Bible pouvait être considérée comme un livre d’une très grande crédibilité historique. Puis, peu à peu, son historicité commença alors à faire l’objet d’âpres controverses archéologiques. Par ailleurs, il a fallu attendre les années 1970 pour voir apparaître une nouvelle tendance dans les recherches de ce champ. Certains chercheurs finirent par changer d’orientation, notamment en remettant en question la relation traditionnelle entre l’objet découvert et le texte biblique. Ainsi, pour la première fois, des archéologues cessèrent de considérer chaque découverte exhumée comme une simple illustration du Livre. Le problème de la relation du site fouillé avec le texte biblique arrêta de les obséder et ils se mirent plutôt à interroger les objets exhumés (ossements d’animaux, débris végétaux, tessons de poterie, architecture des bâtiments, etc.) afin de découvrir en eux des clés pour l’étude et l’interprétation des transformations économiques, de l’histoire politique, des pratiques religieuses, des densités de population et des structures fondamentales de l’ancienne société israélite. Bien entendu, cette nouvelle orientation de l’archéologie ne fut pas suivie par tous. Il se trouve encore des archéologues pour publier des ouvrages peu critiques tentant de prouver à tout prix l’historicité des récits bibliques. De tels ouvrages, souvent qualifiés de fantaisistes ou de fondamentalistes, ont même paru en grand nombre ces dernières années, particulièrement aux États-Unis.

     Or, le présent livre est également rédigé par deux archéologues états-uniens ; toutefois, loin de confirmer naïvement l’historicité de la Bible, ils proposent de reconstruire l’histoire de l’ancien Israël telle que nous la révèlent les découvertes archéologiques, lesquelles restent l’unique source d’information sur la période biblique à n’avoir subi ni purge, ni remaniement, ni les censures exercées par de nombreuses générations de scribes bibliques. La thèse de Finkelstein et Silberman est la suivante : les découvertes archéologiques montrent que le plus gros de ce que l’on tient pour authentique — les récits des patriarches, Moïse et l’Exode, Josué et la conquête de Canaan, les Juges et l’installation en Canaan, Saül et la naissance de la monarchie, David et Salomon et la glorieuse monarchie unifiée — est, en réalité, l’expression de l’élan créatif d’un puissant mouvement de réformes religieuses. Selon la thèse défendue par ces auteurs, l’éclosion de ces dernières aurait eu lieu dans le royaume de Juda en l’espace de deux ou trois générations, autour de l’an 600 avant notre ère.

     Pour justifier cette audacieuse thèse, page après page, les auteurs montrent avec clarté que rien ne va plus quand on juxtapose la Bible et les fouilles archéologiques entreprises en Israël, en Jordanie, en Égypte, au Liban et en Syrie. Les anachronismes abondent et indiquent constamment que les récits bibliques qui vont de Genèse à 2 Rois ont trouvé leur forme définitive beaucoup plus tard, les uns dans la seconde moitié du septième siècle et les autres au sixième siècle avant notre ère. Ainsi, les récits des patriarches sont des légendes pieuses dans lesquelles le royaume de Juda — précisément celui du septième siècle avant notre ère — joue le rôle central (p. 15-63). Le récit de l’Exode exprime puissamment les souvenirs et les espérances suscités par un monde qui vit une profonde mutation au septième siècle avant notre ère (p. 65-90). La personnalité surhumaine de Josué évoque le portrait métaphorique de Josias, le sauveur de tout le peuple d’Israël qui régna de 639 à 609 (p. 91-117). L’histoire qui résulte des découvertes archéologiques va même à l’encontre de celle que décrit la Bible : l’émergence d’Israël fut le résultat, non la cause, de l’effondrement de la culture cananéenne, ce qui veut dire que la plupart des israélites ne venaient pas de l’extérieur de Canaan et qu’il n’y a pas eu d’exode de masse en provenance de l’Égypte. Dit autrement, les Israélites étaient d’origine cananéenne et Canaan n’a pas été conquis par la violence (p. 119-148). En résumé, l’archéologie révèle que la naissance d’Israël n’est pas tant due aux conceptions bibliques tardives sur le péché et le salut qu’aux transformations sociales complexes qui ont affecté les populations pastorales des hautes terres de Canaan.

     Quant à l’image que l’on se fait de Jérusalem à l’époque de David et de Salomon, elle relève de l’imaginaire romanesque (p. 149-174). Certes, contrairement aux thèses minimalistes exprimées par certains archéologues, il n’y a pas lieu de douter de l’existence historique de David et de Salomon ; l’inscription dite de la « maison de David » récemment découverte prouve hors de tout doute que ces deux rois sont bel et bien des personnages historiques (p. 155-156). En revanche, les auteurs prouvent qu’il y a d’excellentes raisons de remettre en question l’étendue et la splendeur de leur royaume. De la même façon, aucune preuve archéologique ne plaide en faveur de l’existence historique d’une grande monarchie unifiée, centrée autour de Jérusalem, gouvernant l’ensemble de la terre d’Israël (p. 177-197). Comme pour la Genèse, l’Exode, Josué et Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois débordent tellement d’allusions au septième siècle avant notre ère qu’on peut affirmer qu’ils sont beaucoup plus proches de l’argumentation religieuse exaltée — écrite au septième siècle avant notre ère — que de l’œuvre historique. En fait, le premier âge d’or des souverains israélites remonte aux Omrides, rois dont la Bible nous livre paradoxalement une description des plus succinctes, voire des plus négatives (p. 199-227). Comme pour les autres récits, la Bible ne nous offre qu’une interprétation religieuse du sort du royaume nordiste. En contraste, l’archéologie nous montre que les 120 ans qui suivirent la chute des Omrides furent, dans l’histoire de l’Israël nordiste, une période de grands bouleversements sociaux et d’une adaptation constante pour arriver à survivre en dépit de la menace exercée par les Assyriens (p. 229-260).

     Puis, c’est précisément la chute d’Israël qui permit à Juda de se transformer en un État complètement constitué, doté d’un clergé professionnel et de scribes instruits, seuls capables d’entreprendre la composition de ce qui deviendra le noyau de la grande saga historique de la Bible (p. 263-311). C’est donc dire que pour les historiens de l’époque, c’est-à-dire les historiens deutéronomistes, le règne de Josias (639-609) fut un moment tout aussi important que l’alliance entre Dieu et Abraham, la libération de l’esclavage avec Moïse ou la promesse divine faite au roi David (p. 313-334). Enfin, en ce qui concerne l’étape post-exilique de la rédaction de la Bible, les auteurs soutiennent qu’elle récapitule simplement nombre de thèmes clés qui ont appartenu à l’étape précédente, celle du septième siècle avant notre ère (p. 335‑359).

     Des cartes géographiques, des tableaux chronologiques, des plans de fouille archéologique illustrent les enquêtes minutieuses de ce livre. Sept appendices proposent d’explorer plus en profondeur des sujets chaudement débattus ces dernières années (p. 361-402). Une bibliographie (p. 403-422) et un index (p. 423-430) terminent l’ouvrage.

     Pour le lecteur qui aura eu le courage de lire attentivement ce livre, plus rien ne sera comme avant. Toutefois, loin de sortir désenchanté de ce minutieux travail de déconstruction, il n’en aura que plus d’admiration pour ces habitants qui vivaient il y a près de 2 600 ans, et qui ont su écrire un formidable récit dont la profondeur n’a pas fini de donner à penser, mais aussi de susciter des… polémiques !

 

Jean-Jacques Lavoie

Université du Québec à Montréal