François CHENET, 1998, La philosophie indienne, coll. « Synthèse », Paris, Armand Colin, 96 p.
François Chenet enseigne à luniversité de Paris-IV (Paris-Sorbonne), où il a récemment succédé à Michel Hulin dans la chaire que celui-ci occupait. Dans ce livre, il offre à son lecteur un exposé aussi précis que concis de la pensée indienne. Il est un peu inhabituel, certes, de recenser un ouvrage qui date de quatre ans, mais il eut été dommage de passer sous silence la parution de La philosophie indienne.
Louvrage comporte trois chapitres. Le premier présente les sources de la pensée indienne, tant hindoues (Veda, Upanishad et Bhagavad Gîtâ) que non orthodoxes (bouddhisme et jinisme). Les textes qui y sont présentés ont un caractère religieux que lauteur nélude pas, mais il sapplique surtout à montrer comment ils formeront le fondement de la philosophie proprement dite : conception de lêtre qui peu à peu saffirme, tension entre monisme et dualisme, réalisme de certains dentre eux et, enfin, révision en profondeur des conceptions courantes du réel et de la personne menée par les bouddhistes.
Le second chapitre est consacré à la philosophie indienne classique. Cela comprend, comme de raison, les six systèmes orthodoxes, qui occupent lavant-scène dans les débats philosophiques : Vaiçeshika, Nyâya, Sânkhya, Yoga, Mîmâmsâ et Vedânta, ainsi que leurs rivaux non orthodoxes, matérialistes, jains et bouddhistes. Sy ajoute encore lexamen dautres écoles moins connues : çivaisme du Cachemire, grammaire et esthétique, philosophie politique, sans oublier quelques penseurs modernes importants.
Le dernier chapitre, enfin, est entièrement consacré à une discussion sur loriginalité de la philosophie indienne. Lauteur traite dabord des rapports de la pensée philosophique indienne avec la tradition religieuse, puis il compare les philosophies indienne et grecque. En particulier, il montre ce qui distingue le projet grec de « rendre raison » du monde et le projet indien déradiquer la souffrance, et il compare le modèle occidental de la sagesse, qui implique daccepter la condition humaine, à la volonté orientale de la transcender. Lopposition des méthodes retient aussi lattention (importance de la réflexion grammaticale en Inde ; remplacement du mythe par le logos en Grèce alors quil se maintient en Inde ; intelligibilité du sensible en Grèce ; réflexion ontologique en Grèce et dans la pensée orthodoxe indienne, mais rejet de lontologie dans le bouddhisme ; oppositions sur le fini et linfini ; lapproche négative de labsolu en Inde). François Chenet, enfin, examine la contribution de lInde au patrimoine philosophique commun, dont loriginalité vient de sa valorisation de la connaissance de soi, de lintuition quelle a de lunité fondamentale de toutes choses, de sa conception ontologique (plutôt quépistémologique) de la vérité et de la primauté quelle accorde à lintuition directe sur la connaissance sensorielle et rationnelle. Loriginalité de la philosophie indienne se manifeste, enfin, dans son analyse de lerreur et de la causalité naturelle.
La philosophie indienne est un livre de dimension modeste, mais dune extrême densité, allant toujours droit à lessentiel. La présentation de la pensée bouddhique est en cela exemplaire : en moins de neuf pages, lauteur explique les notions fondamentales de la pensée bouddhique sans se perdre dans les détails, mais en rendant néanmoins justice à son sujet. Lauteur se contente deffleurer la pensée de certaines écoles, comme le Nyâya, auquel il ne consacre quune page, tandis quil entre plus à fond dans la doctrine dautres écoles, comme le Sânkhya et le Vedânta. Dans tous les cas, François Chenet sait saffranchir des banalités que ressassent nombre de manuels de philosophie indienne et il offre au lecteur une excellente base pour entreprendre des recherches plus poussées. Certains des sujets quil aborde sont par ailleurs rarement traités (notamment la politique et lesthétique).
À mon avis, toutefois, lapport le plus important de louvrage réside dans sa comparaison des philosophies grecque et indienne. Au détour de thèmes bien choisis, François Chenet balise quelques chemins suivis par la pensée de lInde et donne une idée de lintérêt profond quil y a à engager un dialogue suivi avec elle. La philosophie indienne offre, ainsi, non seulement une excellente introduction à la pensée de lInde, mais aussi une réflexion originale sur la contribution de lInde à la philosophie mondiale.
Jean-François Belzile
Université du Québec à Montréal