Olivier Roy,
2001, L’Asie centrale contemporaine, coll. « Que sais-je ? »,
3601, Paris, Presses Universitaires de France, 128 p.
Le
livre d’Olivier Roy est l’avatar de son dernier ouvrage
intitulé La
Nouvelle Asie Centrale, publié au Seuil en 1997. Les conquêtes militaires russes
commencent à la fin du XVIIIe siècle pour se terminer
dans les dernières décennies du XIXe siècle.
Après la pacification des pays turkmène, kazakh et kirghiz, les
Russes étendent leur empire jusqu’aux frontières de la
Perse et de l’Afghanistan. Comme le souligne Roy, la stratégie de
la Russie tsariste (poursuivie par les Soviétiques) a été
celle de diviser pour régner. Pour ce faire, les autorités
coloniales accentuent les différences ethniques et préservent de
tout changement les institutions sclérosées des musulmans
d’Asie centrale. Cette stratégie a été
couronnée de succès. Dans la foulée, les
Soviétiques créent de toutes pièces des républiques
socialistes autonomes entre 1924 et 1936. Les cinq républiques
deviennent indépendantes lors de la dissolution de l’Union
soviétique en 1991.
Les
trois premiers chapitres sont consacrés presque exclusivement à
l’histoire de l’Asie centrale, soit près de la moitié
de l’ouvrage. Donc, pas assez à la situation contemporaine, ce qui
est censé être l’objectif du livre. Vincent Fourniau a
déjà publié, en 1994 et dans la même collection, une
excellente synthèse (Histoire de l’Asie centrale, le numéro 2821). Il est surprenant
de constater que cet ouvrage n’a pas été cité dans
la bibliographie de Roy.
Comme
le souligne l’auteur, après sept décennies de
soviétisme, l’islam centrasiatique se réveil lentement
d’un long sommeil. L’auteur consacre le chapitre quatre à
cette question (p. 53-73). D’entrée de jeu, le directeur de
recherche au CNRS précise que la majorité des musulmans sont
sunnites de rite hanafite ; il y a aussi des chiites duodécimains
et des ismaéliens. Dans ce chapitre, l’auteur met en
évidence les quatre principaux mouvements jouant un rôle dans la
« ré-islamisation » de l’Asie centrale. Les
premiers acteurs sont ceux appartenant à l’islam
« officiel » ; ceux-ci sont considérés
« politiquement corrects » par les gouvernements des
diverses républiques. En fait, cette expression de l’islam est une
survivance des anciennes structures soviétiques du clergé
officiel. Les deuxièmes acteurs sont ceux du « clergé
parallèle ». Les mollahs qui dirigent les nouvelles
mosquées indépendantes ne relèvent pas du clergé
officiel. Ces mollahs peuvent, selon leur orientation religieuse et politique,
prêcher un islam conservateur ou non. Les troisièmes acteurs
appartiennent à « l’islam radical ». Les
« wahhabis » représentent, comme l’indique
Roy, tous les « réformateurs fondamentalistes »,
et non uniquement ceux issus du milieu saoudien. Les divers mouvements
islamistes sont brièvement discutés (p. 66-73). Les derniers
acteurs jouant un rôle dans la ré-islamisation de l’Asie
centrale sont les soufis. Hormis quelques phrases au sujet du soufisme au
Tadjikistan, Roy reste muet sur leur situation dans les autres
républiques. Il se contente d’affirmer qu’il y a des
tentatives de « relancer le soufisme, souvent faites par des
néophytes ». Il prétend que le soufisme est
« apolitique » et que celui-ci va à
« l’encontre de la prédication wahhabie ».
Le lecteur aurait aimé en savoir plus sur l’état actuel du
soufisme dans une région du monde où les confréries
jouèrent un rôle de premier plan. Afin d’approfondir le
dossier, les lecteurs devraient lire le numéro consacré à
l’Asie centrale dans Hérodote, 84 (1997).
Le
chapitre cinq et six sont consacrés aux enjeux
géostratégiques et aux questions relatives au
développement économique des diverses républiques. Les
chapitres sept à onze sont, en réalité, des appendices.
Roy y dessine le profil de chaque pays. La bibliographie est d’une
pauvreté déconcertante : à peine la moitié
d’une page. Plusieurs ouvrages importants ne figurent pas parmi les
quelques titres mentionnés. Il est à noter que des références
citées dans le texte n’apparaissent pas dans la bibliographie. La
principale carence de l’ouvrage concerne les données
utilisées par l’auteur. Où puise-t-il ses
informations ? Certes, l’auteur est un homme de terrain et un
spécialiste du Tadjikistan, mais où emprunte-t-il ses
données sur les diverses républiques ?
En
ce qui à trait à l’histoire de cette région en
général, et de l’islam en particulier, les lecteurs
auraient plutôt avantage à consulter History of Civilizations
of Central Asia,
publié en quatre volumes sous les auspices de l’UNESCO
(1997-2000), ainsi que le livre de J.-P. Roux, Histoire de l’Asie
centrale (Paris, Fayard,
1997) et le récent livre de Svat Soucek, A History of Inner Asia, (Cambridge, Cambridge University Press,
2000). En bref, malgré les insuffisances de l’ouvrage, le livre
d’Olivier Roy demeure néanmoins une bonne introduction aux
problématiques entourant l’émergence de l’islam
centrasiatique.
Michel Gardaz
Université d’Ottawa