Alexandre Safran. 1997. Esquisse d'une éthique religieuse juive. Paris: Cerf, 163 p.



Le présent ouvrage regroupe cinq conférences prononcées par le grand rabbin Safran. La première conférence (p. 7-43) présente une esquisse d'une éthique religieuse juive. Pour ce faire, l'auteur insiste tout particulièrement sur le fait que la halakah (la «Loi»), bien que constante et inchangeable, n'est point fixe, rigide, mais, comme l'indique son nom, toujours «en marche» (halak) avec Dieu et les êtres humains. Le judaïsme conçoit donc la morale comme un dèrèk, comme une «voie», comme une marche que l'être humain doit poursuivre, guidé par la Torah.

La deuxième conférence (p. 45-77) brosse un portrait des grandes orientations éthiques des écoles de Rabbi Éliyahou, le Gaon de Vilna, Rabbi Hayyim de Volojine et Rabbi Israël Baal Chem Tov. Suite à cette présentation de la place controversée qu'occupent l'étude de la Torah, l'amour de Dieu et la prière dans l'éthique des mitnagdim (les deux premières écoles) et des hassidim (la troisième école), l'auteur esquisse dans une annexe de moins de 4 pages (p. 77-80) une brève réflexion critique sur les inquiétudes des disciples de Gaon de Vilna et de Rabbi Hayyim de Volojine à l'égard des mouvements piétistes comme le hassidisme et le mousar qui accordaient une place très importante à l'amour et à la crainte de Dieu.

Dans sa troisième conférence (p. 81-102), A. Safran réfléchit sur la portée éthique religieuse des grandes fêtes juives. Comme le Sabbat est l'origine et le principe de toute fête juive, la part du lion lui est réservée. L'auteur insiste particulièrement sur le fait que l'éthique juive s'enracine dans une religion de la joie permanente, mais non du plaisir fragile et éphémère ou de la volupté exubérante. Une annexe de quelques pages (p. 102-106) portant sur le sens des commandements actifs et des commandements défensifs termine ce troisième chapitre.

Le «miracle» constitue le thème de la quatrième conférence (p. 107-139). Deux thèses sous-tendent le propos de ces pages: 1) la direction miraculeuse est propre à l'histoire d'Israël, tandis que la direction naturelle est celle des «nations du monde»; 2) la direction miraculeuse de l'histoire d'Israël, contrairement à la direction naturelle, a une finalité éthique religieuse. Pour appuyer cette démonstration, les fêtes de Hanoukah et de Pessah servent de modèles. Une autre brève annexe (p. 140-143) termine ce chapitre et défend la thèse que le miracle, dans la tradition juive, ne comporte aucun élément magique.

La dernière conférence (p. 145-161) se donne pour seul objectif de bien distinguer le concept de liberté de celui de libération et cela à partir de quelques considérations sur la fête de Pessah.

Dans l'ensemble, le lecteur pourra découvrir que l'éthique juive, loin de se limiter au Décalogue et aux prescriptions du Lévitique, comme le pensent de nombreux chrétiens, a sans cesse été actualisée dans la tradition talmudique et post-talmudique. C'est sans doute le principal mérite du présent ouvrage qui témoigne d'une vaste érudition. Par contre, cette impressionnante connaissance des textes se limite à la tradition juive. C'est pourquoi, l'auteur aurait mieux fait de s'abstenir de polémiquer. En effet, ses remarques sur le bouddhisme et le christianisme (voir les p. 109, 110, 111, 124, 129, 132, 141, 149) relèvent malheureusement de la grossière caricature. Par exemple, affirmer que la fête de la Hanoukah (voir 1 Maccabées 4,59 et 2 Maccabées 10,1-8) est devenue chez les chrétiens la fête de la Nativité (p. 132 note 1) est une erreur qui trahit une ignorance flagrante. L'éthique juive présentée par A. Safran m'est apparue également très idéaliste, voire désincarnée. La preuve, c'est que l'auteur, dans tout son livre, ne fait que deux rapides allusions à la Choah (p. 80 et 157). Aussi, n'est-il pas étrange de prendre plusieurs pages (p. 107-143) pour défendre l'idée que le miracle préside au déroulement de l'histoire d'Israël sans faire aucune allusion à la Choah? Enfin, comme ce livre est un recueil de cinq conférences prononcées entre 1952 et 1990, celles-ci contiennent quelques répétitions. Toutefois, ces dernières remarques ne doivent pas cacher la richesse de ce livre qui, loin d'exposer des recettes ou des autorisations/interdictions, développe les grands axes fondamentaux qu'un juif n'a pas le droit d'ignorer, s'il veut demeurer fidèle à sa tradition, et que n'importe quelle personne intéressée par l'éthique religieuse aurait avantage à méditer.


Jean-Jacques Lavoie
Université du Québec à Montréal

Sommaire des recensions / Page d'accueil