Jacques Waardenburg, 1998, Islam et Occident face à face. Regards de l'Histoire des Religions, Genève, Labor et Fides, 143 p.


Fruit de quatre conférences données à l'Université de Lausanne en 1994 dans le cadre d'un cours intitulé «Islam, Europe et christianisme au XXe siècle», ce petit livre propose une esquisse des relations islamo-chrétiennes dans le contexte européen et méditerranéen. Comme l'indique le titre, ce sujet est abordé dans la perspective de la science des religions et c'est là un apport original car la plupart des publications en français sur l'islam actuel sont l'oeuvre de spécialistes en sciences sociales et politiques, tandis que la majorité des publications sur le christianisme contemporain proviennent de la main de théologiens. Aussi, les relations entre l'islam et le christianisme sont habituellement traitées soit d'un point de vue chrétien, soit d'un point de vue musulman. Or, le but du présent livre est de rendre justice aux différentes positions adoptées sur les relations entre musulmans et chrétiens. Guidé par un réalisme critique et un souci d'équité, l'auteur présente donc ses connaissances de façon aussi impartiale et objective que possible.

Sans entrer dans les détails de l'histoire des XIXe et XXe siècles, le premier chapitre (pp. 15-26) présente une synthèse de quelques événements et processus historiques déterminants pour le monde musulman. On y découvre que l'histoire contemporaine des relations entre l'Europe et les pays musulmans est essentiellement l'histoire de relations de pouvoir. Intitulé «L'islam comme antipode de l'Europe», ce premier chapitre montre bien qu'aujourd'hui l'islam n'est plus l'antipode religieux (comme ce fut le cas à l'époque des Croisades et de la Reconquista), mais plutôt l'antipode social (comme autrefois le communisme) ; c'est pourquoi, les reproches qui lui sont adressés concernent essentiellement des questions politiques (par exemple la démocratie ou la séparation entre État et religion) et sociales (par exemple les droits de la personne et le statut de la femme).

Dans le deuxième chapitre, qui a pour titre «Christianisme et islam en débat» (pp. 27-50), l'auteur traite des arguments religieux tournés contre les deux religions. Ce traitement spécifiquement théologique est accompagné d'une présentation historique. Après avoir rappelé les enjeux de la confrontation initiale et les péripéties historiques du débat islamo-chrétien jusqu'au XIXe siècle, siècle des missions pour les Européens, l'auteur fait voir que les formes du débat religieux entre christianisme et islam au XXe siècle ont été tributaires des contextes politiques qui ont certes été variés, mais qu'on peut néanmoins diviser en deux grandes périodes : la colonisation et l'indépendance des colonies. L'exacerbation de l'opposition entre ces deux systèmes religieux est finalement expliquée par deux principaux facteurs : l'impact des forces politiques sur les débats religieux et la constatation que la religion, aussi bien pour les musulmans que les chrétiens, était la base et la garante de l'ordre social.

Intitulé «Chrétiens et musulmans en dialogue», le troisième chapitre (pp. 51-72), retrace l'histoire des dialogues entre musulmans et chrétiens depuis Muhammad (le caractère dialogique de nombre de textes coraniques a été très peu étudié) jusqu'au XXe siècle. La part du lion est réservée au XXe siècle qui a donné naissance à des dialogues au sommet, avec des «professionnels» de la religion, et à de nombreuses publications (voir par exemple les travaux du Groupe de Recherches Islamo-Chrétiens et l'annuaire Islamochristiana). Pour mieux étudier ces dialogues organisés, l'auteur formule plusieurs questions dans un annexe (pp. 113-115). Un bilan critique est finalement présenté et l'auteur conclut que la première phase de ce dialogue, celle de la présentation réciproque, touche à sa fin.

Le quatrième chapitre, qui a pour titre «Vers un nouveau regard» (pp. 73-94), aborde les relations entre l'islam et le christianisme en quatre temps : il éclaire d'abord la situation du christianisme et de l'islam dans l'Europe du XXe siècle ; il esquisse une critique des discours courants sur l'islam et le christianisme (par exemple, en ce qui concerne l'islam, il faut bien distinguer l'islam normatif, l'islam vécu et l'islam idéologisé) ; puis il développe un cadre théorique pour l'approche de ces deux traditions en tant que religions, et, enfin, il invite son lecteur à porter un regard nouveau sur l'islam dans la société européenne.

Un cinquième chapitre, indépendant des quatre autres, est consacré à la question des relations entre les trois religions monothéistes. Il est intitulé «Regard de l'histoire des religions» (pp. 95-112). L'auteur y dégage d'abord les structures fondamentales de l'islam afin d'y défendre l'idée d'une affinité «familiale» entre le judaïsme, le christianisme et l'islam, qui sont respectivement définis comme une communauté ethno-religieuse, une communauté de salut et une communauté socio-religieuse.

Une bibliographie sélective, constituée de livres parus pour la plupart après les années 1980, invite le lecteur à poursuivre sa recherche (pp. 117-129). Enfin, un index des noms propres (pp. 131-132) et un index thématique (pp. 133-140) terminent cet excellent livre et facilitent sa consultation.

En résumé, les Européens, mais aussi les Américains, bien entendu, qui veulent tirer des leçons des conflits ouverts ou latents, qui secouent l'ex-Yougoslavie, l'Algérie, le Sahara occidental, le Soudan, la Palestine, le Liban du sud, le Kurdistan, l'Azerbaidjan et la Tchétchénie, devront lire ce très beau livre. Ils n'y trouveront certes pas de recettes miracles, mais ils découvriront quelles ouvertures sont susceptibles de réconcilier et d'enrichir ces deux mondes trop proches pour être éternellement hostiles.

 

Jean-Jacques Lavoie

Université du Québec à Montréal

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