Globalement, depuis Madame Bovary, le roman français
s'installe dans un psychologisme exsangue, où le minimalisme
fait figure de modèle et où le réalisme
étouffant des scènes de la banalité pourrait
alarmer tous ceux pour qui la lecture reste d'abord un voyage dans
des contrées imaginaires, baroques et fantaisistes.
Or, Jean-Luc Moreau nous l'affirme, le temps du diktat du nouveau
roman s'achève - il cède la place à la Nouvelle
Fiction. En un gros livre, Moreau tente de saisir l'essence de ce
mouvement litté raire qui n'en est pas un, de ce courant
régénérateur sans théorie
préétablie. Il essaie d'abord de définir cette
nouvelle pratique littéraire et bien vite laisse la place avec
humilité à des entretiens avec les sept principaux
auteurs (Patrick Carré, Georges-Olivier Châteaureynaud,
François Coupry, Hubert Haddad, Jean Levi, Marc Petit,
Frédérick Tristan) avant de les laisser prendre
pleinement la parole (et le maquis littéraire!) en publiant
quelques pages succulentes de leurs oeuvres. On arrive à la
fin de ce livre tout étourdi, avec le sentiment d'avoir
assisté, dans un théâtre grandiose, à
mille saynètes mystérieuses et versicolores. Mais
derrière ce kaléidoscope fascinant, derrière
l'hétérogénéité et la richesse
atypique des documents, on pressent une ligne de conduite
partagée.
Mais qu'est-ce donc que cette fiction qui se prétend
nouvelle. «Fiction», elle n'est cependant pas «celle
qui accumule et précipite anecdotes et
péripéties pour distraire du présent par l'
exacerbation du sensationnel, [elle est] celle au contraire qui rend
en tout sensible l'invisible et ne signe du sceau de l'aventure que
ce qui est le double, le reflet, l'envers d'une aventure
intérieure»(p. 11). On y mêle audacieusement mythe
et ironie, histoire réinventée et fable reproduite,
héroïsme fantastique et sagas oniriques.
«Nouvelle» parce qu'elle prétend guérir la
littérature romanesque de la somnolence psycho-réaliste
(en dépit des critiques) en goûtant de tout, de la
comédie au poème tragique, en passant par le roman
initiatique ou le conte. Car cette boulimie ludique de sens, qui
revendique Stevenson comme «grand initiateur» (p. 14), est
radi calement nouvelle: il s'agit, nous dit Moreau, d'une
«révolution copernicienne» (p. 21) qui ne cherche
plus à rivaliser avec la vie, mais qui prétend au
contraire s'installer par delà le vrai et le faux, dans cet
espace mythique du fictif, détaché de tout dogme ou de
toute leçon (sinon celle peut-être qu'il faut apprendre
à désapprendre). Ces auteurs font alors
l'expérience profonde d'une imagination qui n'est plus
maîtress e d'erreur ou de fausseté, mais qui devient
créatrice.
Dans ces romans, les héros vivent avant tout des aventures
intérieures, et leur tribulation doit passer par l'abandon
d'un psychologisme mécaniste ou d'une historicité
restreinte. Le réel ainsi conté n'existe pas en soi,
mais il existe en moi, lecteur, après l'expérience
sympathique et homologique que j'ai pu avoir en m'identifiant au
héros. On assiste alors à des tableaux nombreux qui
sont autant de suc cessives métamorphoses intérieures
du héros à l'issue desquelles le lecteur ne sort pas
indemne.
Il y a donc dans cette anthologie l'annonce visionnaire d'une
littérature d'un genre nouveau, pétrie de mythes et de
merveilles qui augure de la renaissance de l'imagination
surréalisante au cúur de la post-modernité.
Alain Guyard,
Université de Bourgogne, Dijon