Jean-Luc Moreau. 1992. La Nouvelle Fiction, Paris, Critérion, 540 p.

Globalement, depuis Madame Bovary, le roman français s'installe dans un psychologisme exsangue, où le minimalisme fait figure de modèle et où le réalisme étouffant des scènes de la banalité pourrait alarmer tous ceux pour qui la lecture reste d'abord un voyage dans des contrées imaginaires, baroques et fantaisistes.

Or, Jean-Luc Moreau nous l'affirme, le temps du diktat du nouveau roman s'achève - il cède la place à la Nouvelle Fiction. En un gros livre, Moreau tente de saisir l'essence de ce mouvement litté raire qui n'en est pas un, de ce courant régénérateur sans théorie préétablie. Il essaie d'abord de définir cette nouvelle pratique littéraire et bien vite laisse la place avec humilité à des entretiens avec les sept principaux auteurs (Patrick Carré, Georges-Olivier Châteaureynaud, François Coupry, Hubert Haddad, Jean Levi, Marc Petit, Frédérick Tristan) avant de les laisser prendre pleinement la parole (et le maquis littéraire!) en publiant quelques pages succulentes de leurs oeuvres. On arrive à la fin de ce livre tout étourdi, avec le sentiment d'avoir assisté, dans un théâtre grandiose, à mille saynètes mystérieuses et versicolores. Mais derrière ce kaléidoscope fascinant, derrière l'hétérogénéité et la richesse atypique des documents, on pressent une ligne de conduite partagée.

Mais qu'est-ce donc que cette fiction qui se prétend nouvelle. «Fiction», elle n'est cependant pas «celle qui accumule et précipite anecdotes et péripéties pour distraire du présent par l' exacerbation du sensationnel, [elle est] celle au contraire qui rend en tout sensible l'invisible et ne signe du sceau de l'aventure que ce qui est le double, le reflet, l'envers d'une aventure intérieure»(p. 11). On y mêle audacieusement mythe et ironie, histoire réinventée et fable reproduite, héroïsme fantastique et sagas oniriques. «Nouvelle» parce qu'elle prétend guérir la littérature romanesque de la somnolence psycho-réaliste (en dépit des critiques) en goûtant de tout, de la comédie au poème tragique, en passant par le roman initiatique ou le conte. Car cette boulimie ludique de sens, qui revendique Stevenson comme «grand initiateur» (p. 14), est radi calement nouvelle: il s'agit, nous dit Moreau, d'une «révolution copernicienne» (p. 21) qui ne cherche plus à rivaliser avec la vie, mais qui prétend au contraire s'installer par delà le vrai et le faux, dans cet espace mythique du fictif, détaché de tout dogme ou de toute leçon (sinon celle peut-être qu'il faut apprendre à désapprendre). Ces auteurs font alors l'expérience profonde d'une imagination qui n'est plus maîtress e d'erreur ou de fausseté, mais qui devient créatrice.

Dans ces romans, les héros vivent avant tout des aventures intérieures, et leur tribulation doit passer par l'abandon d'un psychologisme mécaniste ou d'une historicité restreinte. Le réel ainsi conté n'existe pas en soi, mais il existe en moi, lecteur, après l'expérience sympathique et homologique que j'ai pu avoir en m'identifiant au héros. On assiste alors à des tableaux nombreux qui sont autant de suc cessives métamorphoses intérieures du héros à l'issue desquelles le lecteur ne sort pas indemne.

Il y a donc dans cette anthologie l'annonce visionnaire d'une littérature d'un genre nouveau, pétrie de mythes et de merveilles qui augure de la renaissance de l'imagination surréalisante au cúur de la post-modernité.

Alain Guyard,
Université de Bourgogne, Dijon

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