Douglas
Ezzy, professeur associé en sociologie à l’Université de Tasmanie, Australie,
offre, avec Sex, Death, and
Witchcraft : A Contemporary Pagan Festival, une étude
interdisciplinaire des effets du rituel sur les participants au festival
néo-païen Faunalia, qui a eu lieu presque chaque année entre 2000 à 2009 en
région rurale australienne. L’ouvrage d’Ezzy est très audacieux, combinant
avec brio concepts et théories tirés de la psychanalyse féministe, de la
sociologie, de l’histoire de l’art, des études du rituel et des études de la
performance. Unique en elle-même, son approche théorique se démarque, au sein
des études païennes, par son originalité, alliant de manière pertinente
certains champs d’études qui se côtoient rarement. Plus
précisément, Ezzy fait l’étude du religieux vécu et de l’expérientiel, ainsi
que des effets de l’esthétique rituelle sur le mode de vie, sur la psyché et
sur la guérison associée au corps, à la sexualité et à la mort. Il examine
comment les rituels qui ont cours durant Faunalia permettent aux participants
en recherche d’« âme dans leur vie » (p.9) de développer de
nouvelles formes de relations à ces aspects d’eux-mêmes et de leur monde qui
sont associées, au sein de la culture occidentale, à la peur, à la souffrance
et au deuil. Ainsi, Ezzy fait l’analyse de l’agency ou du pouvoir individuel des participants d’agir sur
leur vie, au regard des notions de désir, d’authenticité, d’éthique et de
religion. Il en résulte un commentaire informé et fort critique sur la
définition de la religion telle que produite par la logique des Lumières. De
fait, Ezzy renchérit sur Durkheim (p. 61) en misant sur les aspects plus
dionysiaques et inconscients de la religion. Ce faisant, il définit la
religion de manière relationnelle en tant qu’« éthique religieuse pour
entrer en lien avec soi-même et avec les autres, et qui est associée à un
sentiment somatique de valeur personnelle et de raison d’être » (p. 18). Ezzy
élabore cette définition à partir d’une analyse des rituels de Faunalia
mettant en scène Baphomet, une déité mi-humaine, mi-animale et androgyne, de
même que les personnages du mythe éleusinien de la descente aux Enfers. Ces
figures mythologiques permettraient aux participants de reconnaître
l’« Autre » en eux-mêmes et de se reconnaître dans
l’« Autre », cet « Autre » étant ici compris dans le sens
jungien, comme les parties sombres, érotiques ou morbides de l’être humain
contre lesquelles il réagit par manque de familiarité ou par étrangeté. En
faisant l’expérience de la liminalité, les participants acceptent, mettent en
acte et donnent sens à l’ambiguïté et à l’incertitude telles que véhiculées
par l’esthétique adoptée par ces déités sombres, de même qu’à l’existence
inéluctable d’éléments insupportables, de contradictions et de paradoxes en
ce monde. En conséquence, une éthique de la reconnaissance se formerait sur
la base du respect mutuel entre les participants et de la (re)valorisation de
leur relation respective aux aspects les plus difficiles de leur vie. Par le
fait même, les participants feraient l’expérience d’une transcendance, leur
soi se dissolvant dans la communitas,
avant de revenir au mondain, habités d’un sentiment d’unité qui oriente, à
divers degrés, leurs actions en société. Heureusement,
la construction de l’ouvrage rend de manière digeste un propos complexe.
L’écriture alterne analyse et portraits qui plongent le lecteur, débutant ou
expert, dans la vie des répondants, et ponctue la réflexion de retours à
l’individu, rendant la lecture plus dynamique. De même, l’ouvrage en entier
reflète la structure du festival, mettant en parallèle l’exposition de
l’expérience des participants et l’analyse des concepts qui s’en dégagent. Le
propos d’Ezzy est ancré de manière évocatrice dans la parole des participants
et dans la mise en récit de leur expérience. Son analyse est adroitement et
solidement appuyée par un riche outillage théorique rendu clair grâce à une
écriture systématique et efficace, quoique parfois un peu machinale. Il
réussit aussi, en faisant un constant et prudent retour sur les sciences
cognitives, à marier psychanalyse féministe et études du rituel. Il rappelle
avec justesse que le rituel affecte la manière qu’ont les participants de se
penser et de penser le monde, mais que cela n’en constitue pas l’effet
principal, qui est celui d’affecter l’éthique et la morale. De surcroit, Ezzy
garde le détail de sa méthodologie de recherche pour la toute fin de l’ouvrage,
laissant place à une analyse théorique fine et à une exposition judicieuse du
terrain. Il en résulte un travail tissé d’humilité, malgré l’ambition qu’il
implique en raison des différentes approches que combine l’analyse. Point
plus faible de l’ouvrage d’Ezzy, la notion de sorcellerie qui, présente
d’entrée de jeu, demeure accessoire. Employée par l’auteur comme synonyme du
paganisme contemporain et de la Wicca, la notion de sorcellerie implique
toutefois des enjeux de répression et d’exclusion résolument politiques et
liés aux relations de pouvoir en société. L’analyse d’Ezzy occulte quelque
peu les relations de domination externes, culturelles et structurelles qui
affectent le corps et la sexualité au profit des processus de détermination
et de légitimation psychologiques et internes. Lien: http://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2015/2015_a_Ezzy.htm |