Ezzy

 

Ezzy, Douglas. 2014. Sex, Death, and Witchcraft : A Contemporary Pagan Festival. New York : Bloomsbury, 216 p.

 

Août 2015  (date de mise en ligne)  

Recension de :
Martin Lepage, Université du Québec à Montréal

 


Douglas Ezzy, professeur associé en sociologie à l’Université de Tasmanie, Australie, offre, avec Sex, Death, and Witchcraft : A Contemporary Pagan Festival, une étude interdisciplinaire des effets du rituel sur les participants au festival néo-païen Faunalia, qui a eu lieu presque chaque année entre 2000 à 2009 en région rurale australienne. L’ouvrage d’Ezzy est très audacieux, combinant avec brio concepts et théories tirés de la psychanalyse féministe, de la sociologie, de l’histoire de l’art, des études du rituel et des études de la performance. Unique en elle-même, son approche théorique se démarque, au sein des études païennes, par son originalité, alliant de manière pertinente certains champs d’études qui se côtoient rarement.

Plus précisément, Ezzy fait l’étude du religieux vécu et de l’expérientiel, ainsi que des effets de l’esthétique rituelle sur le mode de vie, sur la psyché et sur la guérison associée au corps, à la sexualité et à la mort. Il examine comment les rituels qui ont cours durant Faunalia permettent aux participants en recherche d’« âme dans leur vie » (p.9) de développer de nouvelles formes de relations à ces aspects d’eux-mêmes et de leur monde qui sont associées, au sein de la culture occidentale, à la peur, à la souffrance et au deuil. Ainsi, Ezzy fait l’analyse de l’agency ou du pouvoir individuel des participants d’agir sur leur vie, au regard des notions de désir, d’authenticité, d’éthique et de religion. Il en résulte un commentaire informé et fort critique sur la définition de la religion telle que produite par la logique des Lumières. De fait, Ezzy renchérit sur Durkheim (p. 61) en misant sur les aspects plus dionysiaques et inconscients de la religion. Ce faisant, il définit la religion de manière relationnelle en tant qu’« éthique religieuse pour entrer en lien avec soi-même et avec les autres, et qui est associée à un sentiment somatique de valeur personnelle et de raison d’être » (p. 18).

Ezzy élabore cette définition à partir d’une analyse des rituels de Faunalia mettant en scène Baphomet, une déité mi-humaine, mi-animale et androgyne, de même que les personnages du mythe éleusinien de la descente aux Enfers. Ces figures mythologiques permettraient aux participants de reconnaître l’« Autre » en eux-mêmes et de se reconnaître dans l’« Autre », cet « Autre » étant ici compris dans le sens jungien, comme les parties sombres, érotiques ou morbides de l’être humain contre lesquelles il réagit par manque de familiarité ou par étrangeté. En faisant l’expérience de la liminalité, les participants acceptent, mettent en acte et donnent sens à l’ambiguïté et à l’incertitude telles que véhiculées par l’esthétique adoptée par ces déités sombres, de même qu’à l’existence inéluctable d’éléments insupportables, de contradictions et de paradoxes en ce monde. En conséquence, une éthique de la reconnaissance se formerait sur la base du respect mutuel entre les participants et de la (re)valorisation de leur relation respective aux aspects les plus difficiles de leur vie. Par le fait même, les participants feraient l’expérience d’une transcendance, leur soi se dissolvant dans la communitas, avant de revenir au mondain, habités d’un sentiment d’unité qui oriente, à divers degrés, leurs actions en société.

Heureusement, la construction de l’ouvrage rend de manière digeste un propos complexe. L’écriture alterne analyse et portraits qui plongent le lecteur, débutant ou expert, dans la vie des répondants, et ponctue la réflexion de retours à l’individu, rendant la lecture plus dynamique. De même, l’ouvrage en entier reflète la structure du festival, mettant en parallèle l’exposition de l’expérience des participants et l’analyse des concepts qui s’en dégagent. Le propos d’Ezzy est ancré de manière évocatrice dans la parole des participants et dans la mise en récit de leur expérience. Son analyse est adroitement et solidement appuyée par un riche outillage théorique rendu clair grâce à une écriture systématique et efficace, quoique parfois un peu machinale. Il réussit aussi, en faisant un constant et prudent retour sur les sciences cognitives, à marier psychanalyse féministe et études du rituel. Il rappelle avec justesse que le rituel affecte la manière qu’ont les participants de se penser et de penser le monde, mais que cela n’en constitue pas l’effet principal, qui est celui d’affecter l’éthique et la morale. De surcroit, Ezzy garde le détail de sa méthodologie de recherche pour la toute fin de l’ouvrage, laissant place à une analyse théorique fine et à une exposition judicieuse du terrain. Il en résulte un travail tissé d’humilité, malgré l’ambition qu’il implique en raison des différentes approches que combine l’analyse.

Point plus faible de l’ouvrage d’Ezzy, la notion de sorcellerie qui, présente d’entrée de jeu, demeure accessoire. Employée par l’auteur comme synonyme du paganisme contemporain et de la Wicca, la notion de sorcellerie implique toutefois des enjeux de répression et d’exclusion résolument politiques et liés aux relations de pouvoir en société. L’analyse d’Ezzy occulte quelque peu les relations de domination externes, culturelles et structurelles qui affectent le corps et la sexualité au profit des processus de détermination et de légitimation psychologiques et internes.

Lien:  http://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2015/2015_a_Ezzy.htm