L’islam. Regards en coin a
comme objectif « d’exposer, sous différentes thématiques, cette
pluralité de compréhensions de l’islam et les dynamiques spécifiques
sous-jacentes » (p. 4), car « [r]ares sont les travaux qui
abordent de manière critique les sentiers battus ou les angles morts actuels
relatifs à l’islam contemporain » (p. 2). Pour ce faire, l’ouvrage
propose des « points de vue ancrés dans la société québécoise » (ibid.),
mais sans autre explication (quoique tous auteurs soient associés à deux
universités montréalaises). L’introduction
(p. 1-4) offre peu d’éclairage sur le choix de ce pot-pourri de textes
qui sont regroupés en trois sections thématiques dont le fil
conducteur s’avère être les « questions soulevées par
l’actualité » (p. 4). La
première section aborde la dimension politique et propose un aperçu des
mouvances salafiste, islamiste et frériste. Brahim Kerroumi s’attarde à la multiplicité des formes de la
mémoire collective musulmane (sunnite, chiite, kharidjite, soufie), dont la
mémoire de l’idéologie salafiste du wahhabisme qui apparait au milieu du
XVIIIe siècle. Son émergence et sa dominance actuelle
s’expliqueraient par « la puissance du mytho-moteur fondateur »
(p. 14) et par les méthodes de manipulation de la mémoire : (1)
propagation de l’idéologie salafiste par les mouvements islamiques à
caractère politique, « ce qu’on l’appelle [sic] aujourd’hui l’islamisme
et dont le théoricien en chef est l’égyptien Mohamed Abdou »
(p. 16) (aussi chef de file du courant moderniste, voir
chap. 5) ; (2) diffusion de l’idéologie via les chaînes
satellitaires religieuses ; (3) « autoproclamation » des
wahhabites « gardiens des lieux saints » (La Mecque et
Médine) ; et (4) autorité religieuse qui « authentifie les textes
formant un canon » duquel sont exclus tous les autres textes
(p. 16-17). Mohamed
Fadil aborde la question de l’islamisme :
généalogie de l’usage du terme ; débats conceptuels sur le
phénomène ; explication de son expansion via des approches soit
totalisantes, l’« effet de nature » d’un islam total, totalisant et
totalitaire, incapable de « séparer le religieux du politique »
(p. 25) d’un Bernard Lewis, soit contextuelles, aux dimensions
historique et sociopolitique des Gilles Kepel
(géopolitique), Olivier Roy (sociologique), François Burgat
(culturelle et identitaire) et Bruno Étienne (continuité historique du
réformisme musulman du XIXe
siècle) (p. 26-30) ; et l’apparition, à partir des années 1990, de
la thèse de l’échec ou du déclin de « l’islam
politique/l’islamisme » de Roy (post-islamisme), Kepel,
Étienne et Burgat (p. 30-32). Pourtant,
l’expansion des divers groupes islamistes djihadistes semblerait récuser ces
dernières thèses, que seul l’avenir géopolitique du monde musulman saura
confirmer ou infirmer. Wael
Saleh se penche sur les Frères musulmans égyptiens et leur conception de
l’État, cherchant à savoir si leur fiqh
(jurisprudence islamique) politique est déterminant en se penchant sur leur
acceptation ou refus des valeurs démocratiques. Quatre réponses sont
possibles : (1) il n’est pas ou n’est plus déterminant ; (2) il est
déterminant ; (3) il influence seulement le courant conservateur ;
et (4) il a perdu beaucoup de son influence, mais « il lui reste un
héritage fiqhique antimoderniste à dépasser ou à
renouveler » (p. 38-53). L’auteur ne tranche pas en faveur de leur
acceptation (État démocratique) ou refus (État théocratique) (p. 54). La
deuxième section aborde la question de la femme. Carmen Chouinard explore la
problématique des « lectures féminines/féministes » (p. 64) du
Coran en distinguant trois féminismes : islamique, islamiste et
musulman. Cette expression, ainsi que cette typologie soulèvent de nombreuses
interrogations que le texte ne réussit pas toujours à dissiper. Elle
s’attarde principalement au féminisme islamique qui cherche « à réaliser
l’égalité des genres en réinterprétant le Coran et en évacuant tous les
hadiths misogynes ou allant à l’encontre des enseignements coraniques »
(p. 67). Ce féminisme est envisagé comme « rempart contre les
islamismes », dont les interprétations s’inscrivent à l’« intérieur
d’un paradigme islamique » ; toutefois, il en va également de même
pour les interprétations des féministes islamistes, bien que leur projet
sociopolitique diverge (p. 71-72). Mounia
Ait Kabboura s’attarde à la polygamie via la
problématique de l’« herméneutique » (interprétation) de l’héritage
scripturaire qui, toute théologique qu’elle puisse être, demeure tributaire
des visées idéologiques des interprètes. Elle explore principalement les
positions de Mohamed Abdou (1849-1905), du courant moderniste et défenseur
des droits des femmes. Elle conclut avec deux expériences contemporaines
d’interdiction de la polygamie – l’approche séculière turque, avec
l’introduction du nouveau code civil de 1926 (et non pas en 1914), et
l’herméneutique théologique tunisienne de 1956, avec l’introduction du Code
du statut personnel – et un commentaire plus personnel sur le fondamentalisme
intégriste marocain. La
dernière section propose un « aperçu de la perception de l’islam à
partir du Québec » (p. 3). Daniel Proulx présente la philosophie
islamique qui, conçue comme « théo-sophie »,
ou « réflexion rationnelle de la “sagesse divine” et de la tradition
prophétique » (Henry Corbin et Christian Jambet)
(p. 100, 104), se veut une « réflexion théologico-philosophique »
(p. 108) caractérisée par son déplacement du législatif (sharī‘a)
vers l’eschatologique de la prophétie (p. 109). Elle s’oppose donc aux
« dérives d’une antiphilosophie » contemporaine des islamismes
de tout acabit, l’auteur souhaitant « que les autorités religieuses
fassent la promotion de la “philosophique [sic] islamique” »,
« seul véritable moyen de déradicaliser
les fondamentalismes » (p. 112-113). Tout comme le féminisme
islamique, la philosophie islamique peinera, sans aucun doute, à remplir un
tel mandat ou à offrir une perspective transnationale et non confessionnelle
(suggérée par l’auteur), puisqu’elle demeure héritière d’apports fort divers
des traditions gnostiques, sapientiales, shi‘ites, etc. que peu consentirait
à accueillir. Notons que ce texte trouve difficilement place dans cette
section, contrairement aux deux contributions suivantes. Samia
Amor examine la question de l’autorité de l’imam (souvent autoproclamé) en
contexte migratoire québécois et, plus spécifiquement, en matière
matrimoniale et en situation de divorce. Elle identifie un changement dans la
fonction de l’imam et du rapport à cette figure d’autorité aux nouveaux rôles
(de confident des musulmanes, de pédagogue, de conciliateur et de
conseiller), envisageant éventuellement une place aux femmes dans cette
fonction de résolution du conflit matrimonial. Rachid
Mrani débute avec les difficultés d’intégration auxquelles les musulmans font
face au Québec (freins socioéconomique et politique ; statut de minorité
religieuse). Puis, il se tourne vers la notion de finalité de la loi
islamique (« maqâsids al-sharî’a » [sic]) et de son utilisation
dans l’interprétation des textes religieux. Cette lecture
« finaliste » de l’intégration aurait le mérite d’offrir un
référentiel musulman (il propose l’exemple de la condition de la femme).
Cette lecture pourrait battre en brèche, d’une part, l’extrémisme musulman
et, d’autre part, l’exclusivisme laïc (p. 150), sans grande explication
pour ce deuxième élément. Malheureusement,
peu d’efforts furent déployés pour harmoniser la présentation matérielle des
textes : innombrables inconsistances et erreurs de dates, d’auteurs,
d’ouvrages cités, et d’information omise ou erronée (textes et
bibliographies) ; dernier texte dépourvu de bibliographie (ouvrages
utilisés non identifiés) ; six passages en arabe illisibles
(p. 35, 36, 81) ; translitérations inconsistantes ;
etc. On s’attendait à beaucoup mieux de la direction du collectif, mais
surtout de ces presses universitaires. Compte tenu d’une introduction ténue,
on déplore l’absence d’une conclusion qui aurait pu faire un retour critique
sur les contenus. Mais somme toute, et malgré ces réserves, l’ouvrage a le
mérite d’aborder certains enjeux contemporains importants. Lien: http://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2016/2016_SAmor.htm |