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Bruno THIBAULT. 2016. Un Jésus postmoderne : Les réécritures romanesques contemporaines des Évangiles. Leiden : Brill-Rodopi, 199 p.

 

 

août  2017  (date de mise en ligne)

 

recension de
Rachel Bouvet, Université du Québec à Montréal

 


L’ouvrage de Bruno Thibault intitulé Un Jésus postmoderne : les réécritures contemporaines des Évangiles passe en revue une quarantaine de récits français contemporains afin d’interroger la présence de la figure du Christ au sein des textes littéraires oscillant entre le roman et la biographie. Faisant preuve d’une grande érudition et mettant à profit une connaissance extrêmement vaste des différents évangiles, des débats théologiques, de la littérature française contemporaine et de la critique littéraire, l’auteur interroge le regain d’intérêt pour la figure christique surtout à partir des années 80 et examine tour à tour les facteurs qui en sont responsables : l’édition critique de plusieurs évangiles apocryphes, les travaux des historiens, les découvertes archéologiques de manuscrits, comme ceux de la Mer Morte, etc.

 

Le premier chapitre est consacré à deux écrivains considérés comme des précurseurs : Jean Grojean, auteur de trois récits sur la vie de Jésus dans lesquels l’errance mélancolique apparaît comme postmoderne, et Gerald Messadié, auteur de deux best-sellers de facture historique, cherchant à vulgariser et à désacraliser le discours chrétien.

 

Dans le second chapitre, c’est la question juive qui retient l’intérêt. Que le personnage apparaisse sous les traits d’un Christ jardinier (Roger Bichelberger) ou qu’il soit perçu à partir du point de vue extérieur, celui d’un mage juif (Jean-Claude Carrière), de Lazare (Alain Absire), ou de l’apôtre Jean (Guy Hocquenghem), c’est son appartenance à la culture juive qui prédomine. Dans d’autres récits (Jean-Claude Barreau, Hubert Prolongeau, Jean-Yves Leloup, Jean-Claude Barreau, Jacques Duquesne), c’est le personnage de Judas qui occupe la première place, devenant du même coup un objet de fascination après avoir longtemps servi de repoussoir. La découverte de L’évangile de Judas apocryphe dans le désert égyptien en 1978 explique sans doute en partie ce revirement.

 

Le troisième chapitre s’intéresse à la condition féminine et propose l’analyse de textes mettant au premier plan les femmes proches de Jésus telles que Marie (Jacqueline Saveria Huré, Marek Halter) ou Marie-Madeleine (Aurélie Briac, Jean-Yves Leloup), le discours adoptant parfois une posture féministe.

 

Le quatrième chapitre est consacré aux romans publiés au début du nouveau millénaire (Didier Decoin, Éric-Emmanuel Schmitt, Catherine Clément, Max Gallo, Eduardo Manet). L’étude reprend les hypothèses de René Girard sur la violence mimétique et le bouc émissaire pour analyser les épisodes de la condamnation, du procès et de la mise à mort, tout en montrant comment s’établit une tension entre l’humanité et la divinité de Jésus.

 

Le cinquième chapitre s’intéresse plus particulièrement à la dimension formelle des textes en identifiant des jeux littéraires qui vont « de la simple paraphrase à l’amplification, à la transposition, à l’inversion et au détournement parodique » (127) dans les textes de Pascal Quignard, Jean Rouaud et Tanguy Viel. Le chapitre suivant examine les figures des apôtres : Paul et Luc chez Emmanuel Carrère, Jude (le frère de Jésus) chez Françoise Chandernagor.

 

Enfin, le dernier chapitre, ironiquement intitulé « Jésus mangé à toutes les sauces », questionne les implications de la narration autodiégétique chez Philippe Le Guillou, Gilbert Sinoué et Michel Benoît, qui ont employé selon les cas le monologue, le dialogue avec les disciples ou le débat polémique. Quant à l’examen des romans historiques écrits par Alain Ninèze, Frédéric Mars et Roger Caratini, il permet de comprendre qu’un véritable mythe a été créé autour de Jésus, à force de simplification et de stéréotypes, mais qu’il s’accompagne toujours d’un souci d’érudition, y compris dans la littérature populaire : « La fiction permet justement de mettre en scène le caractère fantomatique et fuyant du personnage à l’heure où la religion, comme institution idéologique et dogmatique, ne domine plus le paysage social, et où les outils de la recherche historique permettent de multiplier et d’affiner les angles d’approche. » (185).

 

L’auteur conclut en identifiant deux grandes approches : celle qui consiste à replacer Jésus dans l’histoire et la culture de son époque, à « dé-diviniser » et à « re-judaïser » le personnage, et celle qui met à profit le « palimpseste évangélique » pour le plaisir de la réécriture, les variantes constituant autant de prétextes à des jeux littéraires. Selon Thibault, la figure christique demeure un archétype très puissant dans l’imaginaire occidental, mais elle est soumise au doute et à l’incertitude, ce qui fait que « Jésus comme modèle spirituel remplace aujourd’hui Jésus comme figure théologique » (187).

 

Lien:  http://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2017/2017_BThibault.htm